Je tiens à faire un point sur un sujet qui me tient à cœur : Le picage chez nos perruches et perroquets.
Pour rappel, on appelle picage toute forme de mutilation des plumes ou de la peau, un phénomène relativement courant chez les oiseaux en captivité. Le picage existe également chez d’autres espèces et est bien étudié chez les volailles notamment. Il est également présent à l’état sauvage chez certaines populations aviaires habitant dans les villes en particulier.
Depuis des décennie, il est communément admis que le picage est causé par un mal être psychologique ou encore l’ennui. Je l’ai pensé aussi, mais à force de me pencher sur la question et d’étudier de nombreux cas, je me suis rendue compte que cette conclusion ne collait pas avec la réalité.
J’ai moi même été à maintes reprises concernée par le problème sur certains de mes propres compagnons à plumes. Si aujourd’hui leurs soucis de plumage semblent révolus, ce n’est certainement pas grâce aux anti-dépresseurs, et encore moins grâce aux produits sensés donner mauvais goût au plumage pour faire perdre « la mauvaise habitude ».
On les a toutes entendues, ces théories bancales et culpabilisantes qui nous font croire que nos oiseaux, en mal d’identité lié à leur expérience d’élevage probablement, en viendraient à mutiler leurs propres plumes afin d’apaiser leur stress ou calmer les maux de leur captivité.
Si la captivité est sans nul doute une source de mal être pour nos oiseaux, nous sommes encore bien loin de comprendre avec précision ce qu’il se passe dans leur petite caboche bien remplie !
« C’est comme nous quand on se ronge les ongles, ou quand on s’arrache les cheveux, après tout. »
On l’entend souvent, puis quoi encore ? Cessons enfin de comparer des espèces et des comportements aussi éloignés et incompris ! Alors, les origines de ce picage, les trouve t-on réellement dans la tête de nos perroquets ?
Pour en avoir le cœur net, je vous propose une très simple analyse comportementale.
Lorsque l’on observe un comportement, quel qu’il soit (comme du picage ou de la mutilation), il nous est possible de comprendre son origine en se posant ces deux questions :
*Première question* : Est-ce que ce comportement existe chez l’ensemble des représentants de l’espèce ? Ou l’un des deux sexes ?
Si la réponse est OUI, alors on dira qu’il s’agit d’un comportement normal faisant partie du répertoire comportemental propre à l’espèce ou de l’un des deux sexes :
Exemple : Les régurgitations chez le gris du Gabon. Tous les gris du Gabon finissent par le faire dans le cadre d’une interaction, il s’agit pour eux de créer ou renforcer les liens avec un individu.
Autre exemple : La fabrication de bandelettes de matériaux divers soigneusement coincées dans les plumes du croupion chez l’ensemble des femelles inséparables Agapornis roseicollis. Certains mâles peuvent aussi exprimer cette aptitude. Dans tous les cas, ce comportement est NORMAL.
Ces comportements s’observent également dans la nature.
Si la réponse est NON, le comportement observé est propre à l’individu, alors il s’agira soit d’une aptitude acquise, d’un comportement ne faisant pas partie du répertoire comportemental de l’espèce, ou encore d’un symptôme de maladie.
Exemple : Les régurgitations chez le cacatoès rosalbin. Il s’agira très probablement de vomissements liés à des nausées plutôt que d’un comportement social ou sexuel, puisque les cacatoès rosalbins n’ont pas pour habitude de régurgiter de la nourriture à leur partenaire contrairement à bon nombre d’espèces de perroquets.
Autre exemple : Les balancements frénétiques du corps chez les aras. On ne l’observe ni chez tous les individus, ni dans la nature.
Nous sommes d’accord sur le fait que le picage est un comportement anormal puisque non présent chez l’ensemble des individus d’une espèce (même si, nous sommes aussi d’accord sur un point, certaines espèces sont largement prédisposées à l’exprimer).
*Deuxième question* : Dans quel contexte le comportement est-il exprimé ?
La réponse à cette question nous permet de savoir si le comportement observé est un symptôme de maladie ou un trouble du comportement d’origine psychologique.
En effet, les comportements anormaux liés à un stress ou une frustration sont TOUJOURS exprimés dans le ou les contextes associés à ces états émotionnels. Sinon cela n’aurait pas de sens… un perroquet ne va pas exprimer ou créer de stéréotypies alors qu’il est joyeux !
Exemple : Reprenons le cas du vomissement. Cet exemple vous permettra d’ailleurs à coup sûr de faire la différence entre un vomissement lié à une pathologie ou de la régurgitation volontaire associée à une interaction sociale.
Un perroquet ne va pas vomir dans le contexte d’une interaction avec vous, un partenaire ou un objet auquel il est attaché ( il arrive que les perroquets expriment des comportements sociaux voire sexuels envers des objets, et cela est souvent révélateur d’un cruel manque d’interactions avec un groupe social soit dit en passant). Les régurgitations quant à elles sont systématiquement contextualisées.
Autre exemple : Les balancements du corps chez le ara. On observe toujours les stéréotypies dans un contexte. Typiquement elles seront exprimées lorsque l’oiseau se retrouve derrière les barreaux d’un espace restreint, ou encore lorsque ses ailes taillées l’empêchent de se mouvoir. Si le groupe social renforce en réagissant à ces comportements, alors elles peuvent être employées également dans d’autres contextes liés à des interactions avec le groupe social notamment. Mais les premières expressions étaient nécessairement dans le contexte qui les a généré.
Ainsi, vous ne verrez jamais un perroquet se réveiller en pleine nuit pour exprimer une stéréotypie, ou exprimer sa stéréotypie liée à l’enfermement alors qu’il est en liberté, ou en vol libre. Lorsqu’il s’agit d’une stéréotypie d’envol liée à une restriction de l’exercice du vol ou d’une taille de plumes, l’oiseau peut l’exprimer même en liberté MAIS systématiquement quand il se retrouve en état de stress (il se sent incapable de parcourir un trajet donné par exemple).
Par ailleurs, si vous lisez bien son langage corporel au moment où il l’exprime (plumes plaquées, yeux écarquillés, regard fuyant, souffle court), on peut sans se tromper associer ce comportement à un état de stress ou de frustration, et non de joie.
Un symptôme peut s’observer aussi dans la nature lorsque l’oiseau est malade. Un trouble du comportement d’origine psychologique comme une stéréotypie, au contraire, n’existe PAS dans la nature.
Pour résumer, si le comportement anormal est contextualisé, alors on pourra conclure que son origine est psychologique.
Les situations de stress et de frustrations vécues de façon répétée par le perroquet conduisent inévitablement vers l’expression de troubles du comportement.
Il est intéressant de noter que leur diversité et leur fréquence vont de paire avec les conditions de vie et l’état de mal être de l’animal (et cette observation est valable pour tous les animaux), même si chaque individu dispose de son propre seuil de tolérance face à une source de stress. C’est pourquoi les oiseaux évoluent tous différemment alors qu’ils sont maintenus dans les mêmes conditions restrictives que d’autres.
Pour faire court, moins les besoins du perroquet sont respectés, plus il risque d’être bourré de problèmes. Logique non ?
Et pourtant…
Pour en revenir à notre picage, on ne l’observe pas uniquement sur des oiseaux « malheureux » ou maintenus dans des conditions désastreuses.
En fait, combien d’entre nous ont vu des oiseaux magnifiques et sans plumes manquantes avec des vies de m*rde ?
Nous sommes nombreux à l’avoir vu, et pourtant trop peu nombreux à s’interroger sur l’origine effectivement psychologique du picage !
Ces perroquets encagés et très probablement malheureux, qui ne se piquent pas certes, ont pour autant nécessairement des troubles du comportement telles que les fameuses stéréotypies.
Les stéréotypies sont donc de vraies indicatrices quant à l’état psychologique d’un animal, encore faut-il apprendre à les reconnaître. Et là, c’est pas encore gagné, pas même du côté des « pro » (vétos et comportementalistes).
Alors, si le picage ne colle pas avec l’état de mal être de l’oiseau, s’exprime or contexte, de manière dissociée son état émotionnel (on observe tellement de perroquets se piquer en pleine nuit, ou alors même qu’ils semblent parfaitement détendus), il n’y a plus qu’une seule affirmation à avoir : Le picage n’est pas comportemental.
Il entre typiquement dans la même case que les vomissements et autres comportements anormaux non contextuels : Il s’agit donc d’un SYMPTÔME.
Quant à trouver exactement LA/LES causes à l’origine de ce symptôme, on n’y est pas encore… et ce n’est pas le but de cet article.
Cependant cela doit vous contraindre, chaque fois que vous y êtes confrontés, à vous rendre chez votre vétérinaire et l’inciter à chercher d’où vient le problème (et surtout pas du côté de la caboche).
La plupart du temps, un changement alimentaire suffit à résoudre un picage, mais il peut arriver que les causes soient multiples : pathologies, parasites (internes surtout), déséquilibre de la flore du jabot, levures, champignons… et j’en passe.
Les troubles du plumage et de la peau concernent avant tout les oiseaux vivant à l’intérieur des maisons et qui manquent d’un accès à la lumière naturelle du soleil. La vitamine D joue un rôle prépondérant, et les carences concernent la majorité des populations d’oiseaux exotiques. Une alimentation riche en fruits, produits transformés, biscuits, gâteaux ou encore comprenant des extrudés ne feront qu’accélérer la dégradation de l’état de santé du perroquet.
Même si les vétérinaires se trouvent encore bien démunis face à un tel problème, c’est aussi en recherchant les causes auprès d’eux que nous contribuons à faire évoluer les connaissances en médecine aviaire.
En tous cas j’y travaille de mon côté et l’échange est essentiel pour faire réaliser que la piste comportementale est une mauvaise piste. J’aide quotidiennement les propriétaires d’oiseaux piqués à mettre en place les changements qui permettront une rémission, et les résultats sont parfois extrêmement rapides lorsque les causes ont bien été identifiées !
Au revoir anti-dépresseurs, au revoir théories fumeuses et surtout, au revoir culpabilité. Oui, vous savez de quoi je parle, cette culpabilité que vous ressentez lorsque votre perroquet se mutile malgré tous vos bons soins, malgré la superbe qualité de vie que vous lui offrez.
Un oiseau au plumage magnifique n’est pas une preuve de bonne santé mentale, maintenant vous le savez.