La peur de perdre son perroquet dans la nature

La peur de perdre son perroquet dans la nature

Nous partageons toutes et tous la même peur viscérale. Je parle de celle qui concerne la perte pure et simple de nos boules de plumes adorées.

Il s’agit là de l’une de nos principales craintes quotidiennes lorsque l’on vit avec des animaux pourvus d’ailes, et capables de s’en servir avec aisance par ailleurs.

La psychose des fenêtres mal fermées, des portes qui s’ouvrent, des membres de la famille qui ne font pas attention, on connait ce sentiment d’insécurité omniprésent chaque fois que les oiseaux sont lâchés dans la maison.

Alors, certains ont suggéré des pratiques pour éliminer cette peur, et je fais référence à la taille des plumes de vol, ou encore l’ancienne et désormais proscrite (officiellement depuis un bon nombre d’années) chaîne à la patte.

La première méthode « anti perte » subsiste encore dans nos contrées. Eh oui, aussi incroyable que cela puisse paraître, aujourd’hui, en 2023, on taille encore les plumes de vol des perroquets qui vivent avec nous. Ceux-là même que l’on prétend aimer.

Sous couvert d’arguments improbables, et qui transpirent notre parfaite incompréhension de ces animaux, trop de vétérinaires, éleveurs, autres professionnels et même de particuliers passionnés que nous sommes, continuent de pratiquer, d’entretenir et de conseiller la taille des plumes de vol pour éviter que nos oiseaux chéris ne se perdent dans la nature, à tout jamais.

« Les plumes, c’est de la kératine, comme les cheveux, lorsqu’on les coupe, l’oiseau ne sent rien. »

C’est vrai, certes, mais il me semble que si nous pouvions nous déplacer aussi efficacement que des oiseaux avec nos cheveux nous éviterions tous d’aller chez le coiffeur !

Les plumes de vol sont le fruit de millions d’années d’évolution, oserions-nous encore les comparer à de vulgaires cheveux, bien moins utiles ?

« Les perroquets sont principalement des oiseaux grimpeurs, ils ne volent que par nécessité. »

Leur corps parfaitement sculpté, aérodynamique, la taille de leurs ailes, longues, taillées pour le vol battu ainsi que l’ensemble de leurs organes (muscles, système ventilatoire, cardiovasculaire…) nous prouvent implacablement le contraire. La plupart des espèces que nous possédons en captivité parcourent plusieurs dizaines à centaines de kilomètres par jour dans leur milieu d’origine. Ils ne se contentent pas de faire du branches en branches, par petits sauts et quelques battements maladroits. Ils peuvent tracer en vol battu sans pause, sans se fatiguer, plusieurs minutes durant.

Certes, toutes les espèces n’ont naturellement pas les mêmes capacités ni les mêmes besoins en terme de vol, mais en dehors de notre ami le Kakapo et autres cousins, nous ne pourrions continuer d’affirmer une telle ineptie.

Les poules compensent leur faible capacité de vol par de puissantes pattes qui leurs permettent de marcher, courir vite, sauter et chercher leur nourriture au sol. Il me semble que nos perroquets ne ressemblent ni de près ni de loin à des poules et il suffit de regarder un ara se dandiner au sol pour comprendre qu’il ne peut pas rivaliser avec les gallinacés. Les incroyables pattes en X (zygodactiles) des perroquets leurs permettent de s’agripper solidement aux branches, mais aussi de manipuler avec habilité leur nourriture. Ils grimpent bien, on est d’accord, mais ils volent bien mieux encore !

« Mon perroquet ne vole pas, il n’aime pas ça et ne semble pas en souffrir. »

La théorie de l’oiseau heureux sans le vol, je l’entends souvent et elle me hérisse la kératine !

Tout d’abord, la plupart d’entre nous sommes incapables d’évaluer l’état de bien être ou de mal être d’un animal. Si nous n’apprenons pas à comprendre l’espèce que nous détenons, son mode de fonctionnement, son éthogramme (l’ensemble des comportements propres à l’espèce), identifier ses besoins primaires, relever ses attitudes et les interpréter justement, alors nous ne pouvons pas établir une conclusion objective quant à son état de bien être.

Ensuite, la plupart d’entre nous sommes en proie à l’anthropomorphisme. Un terme qui signifie que nous avons tendance à considérer que les animaux ont les mêmes besoins et mêmes ressentis que nous. Si nous mêmes nous sommes bien avec eux, alors nous serons disposés à croire qu’ils sont bien eux aussi avec nous, quelle que soit la réalité. C’est ainsi que nous nous induisons en erreur.

La pratique du vol nécessite un apprentissage. Lorsque l’on observe les jeunes oiseaux sortir du nid (perroquets et autres, il nous suffit de mettre le nez dehors et de regarder comment se comporte une nichée de jeunes mésanges pour le comprendre), ces derniers se montrent très maladroits. Ils apprennent en chutant au sol, en s’écrasant maladroitement dans les branchages à l’issue de leurs premiers essais.

Avec nos jeunes perroquets, nous constatons le même phénomène. Alors, par crainte que l’oiseau ne se blesse, par méconnaissance aussi, nous aurons tendance à le préserver de cet apprentissage.

Ainsi, trop de perroquets en captivité n’ont pas été suffisamment encouragés à voler.

Ils évitent de décoller et favorisent d’autres modes de locomotion, à savoir la marche, la grimpette ou le taxi humain. Ces mêmes inhibitions s’observent chez les oiseaux concernés par la taille des plumes de vol (même si les plumes ont été renouvelées depuis) ou encore par un enfermement trop important en espace restreint, telle une cage.

Pour couronner le tout, si le jeune perroquet n’est pas encouragé à voler durant sa première année, il développera inévitablement une appréhension pour l’envol, la hauteur et la vitesse.

Un perroquet qui n’a pas appris à voler et qui s’envole dehors, est un perroquet perdu. Les chances de le retrouver sont extrêmement minces et son incapacité à s’envoler l’expose à bon nombre de dangers à l’extérieur.

Ici se trouve la réponse à notre problématique de départ, cette peur viscérale de la perte. Si nous craignons tant de voir s’envoler nos perroquets dans la nature, alors apprenons-leurs à voler. Je ne parle pas de vol libre à l’extérieur, bien évidemment, mais d’encourager le vol en milieu clos (maison, volière…)

Et si la gestion du risque de perte n’était donc pas une difficulté liée à l’animal, mais plutôt à notre humanité ?

Le problème ne viendrait donc pas du fait que les perroquets disposent d’ailes pour se déplacer, mais viendrait tout simplement de notre méconnaissance et de nos mauvaises approches avec eux.

S’il nous suffisait de leur enseigner le vol, tout bêtement ?

Considérons enfin, une bonne fois pour toutes, que plus notre oiseau maîtrisera ses ailes en intérieur, plus il sera en mesure de retrouver sa maison si jamais il s’échappe.

Plus nous favoriserons l’apprentissage du rappel, et mieux notre oiseau nous répondra si jamais il se perd.

Si en plus nous prenons la peine de l’habituer à l’extérieur, à se familiariser aux bruits, aux arbres, aux branches, aux feuilles et à reconnaître son chez lui (et je ne parle pas de vol libre encore une fois) alors nous avons tout gagné.

Cerise sur le gâteau, la relation avec notre compagnon ailé sera bien plus belle, sa vie plus saine, plus heureuse, puisque l’exercice du vol empêche l’apparition d’un grand nombre de troubles du comportement et de soucis de santé.

Alors, vous l’aurez compris, ne détruisons plus leurs plumes, n’y touchons plus, sous aucun prétexte, mais acharnons-nous plutôt à détruire les idées reçues qui contribuent à maintenir cette détestable pratique d’un autre âge.